Impact du digital sur l’émergence de nouveaux business models : les sneakers
Impact du digital sur l’émergence de nouveaux business models : les sneakers
Dans les années 70, le marché des sneakers, ou « baskets » à l’époque, était purement un marché de commodité, sans grande créativité et un nombre de produits et d’acteurs très limité : Spring Court, Adidas, Converse, Le Coq Sportif …
Dans les années 80 et sa frénésie créative, de nouvelles marques sont apparues ou importées, et le nombre de modèles proposés à la vente a considérablement augmenté de par la médiatisation croissante des évènements sportifs et la glorification des sportifs eux-mêmes. Les sneakers font désormais partie du quotidien, et sont considérés aussi bien comme articles de sport que des objets de mode. Ces produits étaient disponibles principalement chez les magasins de sport, et un peu en VPC. Les années 90 et 2000 ont vu la distribution de ces produits exploser littéralement, avec une présence sur l’ensemble des canaux traditionnels et bien entendu sur internet avec le boom de l’e-commerce.
Mais c’est aussi à partir des années 2000 que les marques ont commencé à flairer le bon filon en faisant du neuf avec du vieux. Les modèles iconiques des années 70/80 trouvent une nouvelle jeunesse, avec de nouvelles matières, de nouveaux coloris menant à de multiples déclinaisons : Adidas Stan Smith, Nike Air Force 1, Vans, Asics Onitsuka Tiger, Adidas Superstar … toujours très largement disponibles aujourd’hui.
La rareté de certains modèles cultivée artificiellement
Cependant, certaines marques ont artificiellement cultivé la rareté de certains modèles permettant de transformer des modèles jadis populaires en véritables objets de culte, recherchés par tous. L’exemple ultime : Les Nike Air Jordan 1 high, le modèle qui personnifie le sportif ultime, Michael Jordan, et qui a permis de transformer un simple nom en une marque globale, désormais devenue premium, et dépassant le milliard de dollar de valorisation. Ce modèle coutait 65$ en 1985 et représentait la chaussure de basket la plus chère du marché. Ce même modèle en version OG (pour Original) coûte aujourd’hui 150€ au minimum, mais bien heureux celui qui n’aura à débourser que ce montant.
En effet, la marque cultive la rareté en ne sortant que des éditions limitées, certaines à quelques dizaines d’exemplaires, d’autres en dizaines de milliers, mais à l’échelle planétaire et dans une sélection de magasins partenaires uniquement. La sortie d’un « nouveau » modèle devint rapidement un véritable évènement, des files se formant parfois plusieurs jours avant la sortie devant ces magasins (phénomène de Camp Out), à l’instar des files pour les premiers iphones.
Les magasins se trouvèrent rapidement débordés, et Nike remplaça ces files d’attentes devenues dangereuses en généralisant les « raffles » en ligne permettant de ne pas devoir faire la queue. Il s’agit ni plus ni moins que d’un système de loterie, où les personnes tirées au sort la veille du lancement, gagnent le droit d’acheter le saint Graal (nom donné par les afficionados au modèle du moment que tout le monde s’arrache) le jour J !
Instagram comme vitrine de la revente de sneakers
C’est ici que le digital bouscule tous les codes établis et créé de nouveaux marchés, du fait des marques elles-mêmes, mais des écosystèmes qui se sont créés en parallèle. La loi de l’offre et de la demande fait que ces modèles rares sont recherchés et certains ont très tôt compris l’intérêt de spéculer sur les sneakers. Ils ont commencé par truster les files d’attentes et achetant un maximum de paires, pour ensuite les revendre en ligne ou par annonces pour les moins structurés, ou les revendre à d’autres revendeurs ayant pignon sur rue et la capacité d’écouler d’importants volumes. Les plus populaires sur Paris, Larry Deadstock, Clockers, Afterdrop … Ceux-ci utilisent massivement les réseaux sociaux pour promouvoir les derniers produits disponibles, Instagram en premier lieu, afin de générer du trafic sur le point de vente, et complétés par une solution e-commerce pour la vente à distance. Mais les prix n’ont plus rien à voir avec les prix « retails » ou prix auxquels sont commercialisés ces modèles par les marques. Ainsi, une Jordan 1 OG, vendue chez un revendeur sélectionné ou sur le site Nike à un prix de 150€, se retrouvera chez les resellers à un minimum de 300€ et parfois beaucoup plus en fonction de la rareté.
Digital : Raffles et Bots s'opposent
Les raffles sont ainsi devenues le nerf de la guerre, puisque c’est par ce biais qu’il est uniquement possible d’acquérir ces sneakers artificiellement « rares » au prix retail, encore accessible à tous. Mais là encore, le digital a aussi changé la donne, car ce système initialement équitable a été perverti par l’apparition des « bots ». Ce sont des programmes informatiques développés à la petite semaine par des développeurs indépendants pour la plupart, permettant aux resellers d’augmenter leurs chances de gagner à ces « raffles ». En effet, ils consistent à automatiser les tentatives d’achat sur les sites des marques ou des revendeurs sélectionnés, à l’instant même de la commercialisation d’un modèle, l’ensemble des paramètres étant déjà déterminés (tailles, quantités, adresse de facturation/livraison, détails CB …), et ainsi essayer d’obtenir un maximum de paires sur un ou plusieurs sites, dans l’unique but de les revendre très rapidement en doublant la mise au minimum. Les marques sont par la suite obligées de mener une guerre contre ces bots qui faussent la donne et alimentent le marché du resell. Nike par exemple privilégie l’utilisation de son application mobile SNEAKRS pour l’achat de ces modèles en édition limitée, utilisant des algorithmes d’identification des bots et des comportements malveillants.
La distribution traditionnelle cantonnée à la logistique
Au final, Les circuits de distribution traditionnels ne sont plus utilisés qu’à des fins logistiques et de promotion de l’image de marque, puisque les revendeurs officiels sont aujourd’hui utilisés pour la première commercialisation, vendant en mode premier arrivé, premier servi, les obligeant le plus souvent à ouvrir beaucoup plus tôt le jour même, en écoulant le peu de stock dont ils disposent en quelques minutes, à raison d’une paire par acheteur, au prix officiel. Mais là encore, le système est perverti, puisque les resellers font appel à des acheteurs rémunérés pour multiplier les possibilités d’achat en magasin. Ils font appels à des personnes qu’ils rémunèrent quelques euros ou dizaines d’euros, pour faire la queue devant les revendeurs officiels le jour de la sortie, leur donnant les instructions sur les tailles à acheter et en leur fournissant le montant en cash pour la transaction, et récupérant la marchandise à la sortie. Dès lors, un simple particulier a très peu de chances de « cop » (le terme utilisé par les Sneakerheads pour acheter), que ce soit en ligne comme en magasin.
Gagnants / perdants
Les gagnants
Les perdants
Test grandeur réelle
A des fins d’illustration, nous avons fait le test pour la sortie d’un modèle, la Nike Air Jordan 1 Retro High Turbo Green OG, au prix de 150€.
Avant le jour de la sortie
Jour de la sortie : 15 février 2019 à 9h00
Lendemain de la sortie : 16 février 2019
Le digital peut être un outil incroyable dans notre vie de tous les jours, ainsi qu’une aide précieuse dans le développement de son entreprise ou de sa marque. Il est aussi un vecteur de perversion et de frustration pour tout un chacun, en favorisant l’essor de circuits de distribution sélectifs et parallèles. Le marché des Sneakers est un exemple, mais il en va de même pour la plupart des objets rares, tendances, ainsi que dans le domaine du luxe.